On pourrait en écrire des bouquins entiers donc on se contentera des grandes lignes. Pour les plus expérimentés d’entre vous, les choses paraîtront évidentes.
Un peu d’histoire pour commencer.
Avant l’apparition de l’agriculture moderne il y a environ 10.000 ans, c’était un peu l’anarchie chez les graminées, la nature faisait ce qu’elle voulait, elle ne le faisait pas trop mal, jusqu’à ce que l’homme vienne améliorer tout ça ( une époque où l’intervention humaine ne menait pas encore à des catastrophes)
En repérant et en domestiquant des plants qui lui paraissaient intéressants, l’homme a en quelque sorte stabilisé la nature, c’est l’air de l’engrain et de l’amidonnier.
Un beau jour (ou peut être une nuit)… est apparue l’ancêtre de nos blés tendres, certainement dû à un croisement spontané entre l’amidonnier et une graminée sauvage, avec le plus célèbre de ces ancêtres que vous connaissez sans doute tous, l’épeautre, qui au fil des croisements, naturels et provoqués, donnera nos blés tendres modernes.
De son côté l’amidonnier va évoluer vers ce qu’on appelle aujourd’hui les blés durs.
Et nous voilà rendu à l’air moderne de la sélection des semences.
Dans mon métier, nous sommes sélectionneur et obtenteur de semence. Les nouvelles variétés de blé qui arrivent aujourd’hui sur le marché, pour faire entre autre de nouvelles farines, sont l’achèvement d’un travail de parfois plus de 10ans. Cela commence par la decision de prendre 2 variétés aux propriétés bien spécifiques, de les croiser, et de voir ce que cela donne. On commence dans une serre, à l’échelle d’un pot de fleur. Les quelques graines récoltées valent alors de l’or, espèce nouvelle, qui doivent rester de la plus grande pureté car au fil des années ces quelques graines passent entre les mains de nos agriculteurs-multiplicateurs pour finir par s’étendre sur des hectares de champs. Au fil des multiplications, et des récoltes, les graines sont triées pour rester le plus pur possible, exemptes d’autre espèce ou d’autre variété. La présence d’une variété parasite semée dans un champ peut amener à des croisements inopinés qui peuvent ruiner des années de travail.
En ce qui me concerne nous travaillons essentiellement les blés tendres, les blés durs, les triticales et les orges. (Ici de gauche à droite)
le blé tendre bien potelé, le blé dur plus long et plus vitreux, le triticale allongé également, terne avec ces petits poils au bout et l’orge, qu’on ne peut pas confondre car elle garde son enveloppe (le vêtu), caractéristique commune avec l’épeautre. (A côté de l’orge je vous en ai décortiqué une seconde pour voir qu’à l’intérieur, on pourrait la confondre avec un blé dur non mature)
Concernant le triticale, il s’agit de la première céréale créée par l’homme, croisement entre blé et seigle, il a des caractéristiques commune à ces 2 céréales. Il est pour le moment utilisé pour l’alimentation animal et le fourrage mais on pourrait la voir de plus en plus dans diverses champs d’application à l’avenir. Elle est trop faible en protéines propices à la planification mais elle pourrait être combinée à des farines de blé… la manitoba est une farine de renforcement, imaginez un jour une variété de triticale qui donnerait une farine d’affaiblissement pour la manitoba…. Le triticale pourrait un jour ouvrir de nouvelles portes (J’imagine le cerveau de Thierry en ébullition)
Pour le moment, ce qui nous intéresse principalement, ce sont les blés de nos farines (tout en sachant qu’il est possible d’utiliser des farines autre que celles du blé, tout est une question de dosage)
Ce que l’on trouve essentiellement dans le commerce et partout ailleurs, ce sont des mixes de blés tendres et de blés durs, pour de la farine « à tout faire ». Mais le mixe ne se fait pas n’importe comment, et tous ne seront pas destinés aux mêmes usages.
Comme pour tout, l’équilibre dans le mixe des farines est le maître mot, car au final c’est un mixe de protéine, d’oligo-élément, de nutriment…
Le blé tendre pur servira essentiellement en pâtisserie, pour de bons gâteaux bien aériens et bien digestes, que l’on peut faire rapidement.
Le blé dur pur lui, servira à faire des pâtes ou des pains au levain à la mie serrée. Il possède une teneur en protéine plus élevée.
Ce qui m’amène à un point que je ne comprend pas trop, c’est cette croyance qui veut que « plus y’a de protéine, mieux c’est ». En disant « protéine » les gens pensent « gluten, réseau de gluten, trop bien ». Ce qui, à défaut d’être archi faux, est très inexact, et amène certains à faire de la pizza 100% manitoba en pensant que ce sera facile. C’est bien sûr faisable, mais plus complexe.
Vous le savez sans doute , mais le gluten n’est pas une entité à part entière, c’est ce qui résulte de la réaction au contact de l’eau entre plusieurs protéine. Et dans le processus de formation du gluten, les protéines ne sont pas les mêmes dans un blé tendre, un blé dur ou une orge. On s’aperçoit donc qu’il y a autant de gluten que d’espèce de graminées. Et on ne le sait sans doute pas assez, mais les gens qui ont le malheur d’avoir une intolérance au gluten, ne sont en fait sensible qu’à un nombre limité de gluten, plus particulièrement au gluten qui contiennent de la gliadine, protéine présente dans le blé et l’épeautre entre autre. Le vrai problème est que la gliadine est justement la protéine la plus répandue.
Bref, pour moi, trop de protéine tue la protéine. Et à défaut de pouvoir analyser chimiquement toutes les farines, de toutes les variétés, de tous les blés, il faut tester, tester et surtout… tester. Le tout est de trouver le bon équilibre.
Quand on parvient à remettre toutes ses informations dans le bon sens, et l’importance de l’équilibre dans le mixe des farines, on comprend que les possibilités sont quasi infinis.
En chimie on parle d’équilibre stœchiométrique. Une réaction stœchiométrique est une réaction parfaitement équilibré entre les réactifs et les produits. Parfois les déséquilibres peuvent mener à des réactions non désirées et un produit final à l’opposé de ce que l’on espérait.
Thierry, dans la quête de sa CLASSICA, a mélangé des farines diverses (réactifs), et s’est forcément rendu compte au cours de ses tests, qu’avec une cuillère de telle farine, ça ne fonctionne pas, avec 3 cuillères de cette même farine, ça ne fonctionne pas non plus, et bizarrement avec 2 cuillères ça fonctionne, il a trouvé la bonne quantité, le bon équilibre, on pourrait dire que la CLASSICA est une farine stœchiométrique, mais ce n’est pas hyper glamour. C’est en tout cas, visiblement, une farine équilibrée, composée de différente variété de blé tendre, de blé dur et autre peut être. Dans l’eau, tout ces farines créent chacune un gluten, qui au pétrissage formeront un seul et unique gluten aux qualités si spéciales que vous recherchez.
Difficile de trouver le mot de la fin quand il y a tant à dire et tant à découvrir…. mais je dois bien m’arrêter, alors je dirais simplement, que durant notre apprentissage, n’oublions pas d’être des explorateurs.
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